« Hansel et Gretel » D'après les frères Grimm, adaptation libre et mise en scène Rose Martine.
Rose Martine. Quand pour répondre à l’invitation d’Éric Ruf j’ai choisi de monter Hansel et Gretel pour le Studio-Théâtre, je ne me suis rendu compte de l’existence de ces différentes versions qu’après avoir fait des recherches. Celles-ci émanent elles-mêmes de différentes traditions que les Grimm ont découvertes lors de l'immense travail de recueil de contes qui a fait leur célébrité.
J’ai alors appris que dans la toute première version de 1812, au lieu d’une marâtre (autrement dit d'une belle mère) c’était la mère qui, avec l’aide du père, abandonnait ses enfants.
Cette idée m’intéressait ; elle semble rendre compte d’une réalité sociale : au cours de la première moitié du XIXe siècle, les conditions dans lesquelles les femmes pouvaient s’occuper de leurs enfants étaient parfois tellement atroces qu'il arrivait qu'elles les abandonnent en forêt. Je me suis alors demandé ce qui se passait dans la tête d’une mère qui en arrive à de telles extrémités. Mais il faut savoir aussi qu'entre la première version et la quatrième (qui date de 1840), les frères Grimm,
constatant que les mères étaient moins enclines à se débarrasser de leur progéniture, notamment à cause de l'amélioration de la qualité de vie, ont inventé le personnage de la belle-mère.
Parallèlement, dans une autre version, en 1819, les frères Grimm ont introduit, à la fin du conte, un personnage de canard, ou plutôt de cane, qui sauve les enfants. J’ai voulu y voir comme une réincarnation de la mère, puisque cette dernière meurt avant le retour de ses enfants. Pour moi, le décès de la mère est de l’ordre du sacrifice. Elle meurt pour réapparaître sous une autre forme et aider tout de même ses enfants.
Rose Martine. Je ne saurais parler que de ce qu’il a éveillé en moi, et qui m’a paru d’emblée absolument évident. Au-delà de cette histoire de mère « coupable » qui se sacrifie, j’ai voulu parler d’un couple désirant absolument avoir des enfants ; une fois que ces derniers arrivent enfin, les malheurs arrivent avec eux. La question est alors de savoir comment on surmonte toute cette adversité.
Dans mon adaptation, j’ai également souhaité que Hansel et Gretel, une fois devenus riches grâce à la fortune de la sorcière, se réjouissent de ne plus être un problème pour leur père, de pouvoir aller à l’école, de se faire des amis et de profiter de la vie. Toutes ces choses auxquelles on n’a pas accès quand on naît pauvre. On sait combien il est difficile pour les enfants de certains pays de bénéficier d’une bonne éducation, gratuite, laïque… Hansel et Gretel, une fois qu’ils ont réglé la question de comment nourrir leur estomac, veulent nourrir leur esprit.
J’ai aussi voulu faire de Gretel autre chose que la petite sœur apeurée que son grand frère doit tout le temps rassurer et protéger, telle que toutes les versions du conte la présentent. Chez moi, Hansel et Gretel sont jumeaux, et Gretel a compris que dans le monde où elle vit, une façon de s’en sortir est de « jouer » à être plus bête qu’elle ne l’est ; sauf que quand la situation devient vraiment compliquée, elle montre toutes ses capacités ; elle trouve une solution pour sauver son frère, balance la sorcière dans le four, repère la cane dans la forêt et lui demande son aide… son parcours est de l’ordre d’une émancipation.
Enfin, j’ai souhaité souligner que, dans une famille par exemple, quand la seule chose qu’on possède vraiment est l’amour, cet amour est capable de surmonter tous les obstacles. Hansel et Gretel n’ont pas de rancœur vis-à-vis de leurs parents, ils savent qu’ils vont être abandonnés, ne se sont pas révoltés, ils attendent, puis se soutiennent pour échapper au sort qui les attend. Au moment critique, Gretel ne trouve pas une solution pour sauver sa peau, mais pour sauver ce frère qu’elle aime. L’amour de la mère, inconditionnel, absolu, mais qui concrètement s’est perdu, ressurgit dans le lien qui unit les enfants. C’est ce qui les sauve.
Il était impossible pour moi de penser « conte » sans penser « conteur ».
Rose Martine
Rose Martine. Il est l’élément fondamental de la création de ce spectacle. On pourrait presque dire que ce n’est pas Hansel et Gretel que je monte, mais « L’histoire de Hansel et Gretel racontée par le conteur ». Les contes créoles sont moins écrits que les contes européens. Bien sûr, j’imagine que ces derniers puisent leur source dans une tradition orale, mais le fait qu’ils soient entrés dans le domaine de la littérature fait que les personnages sont très dessinés, très reconnaissables, très figés aussi et en lisant, on a une idée très précise de ce qui se passe. C’est moins le cas dans la Caraïbe, d’où je viens, par exemple. Notre tradition ne part pas de l’écrit. Il y a différentes versions d’une histoire, et chaque conteur a sa façon de la raconter, de moduler la voix des personnages, d’ajouter des sons, des bruits, des variations, sollicitant différemment l’imagination des auditeurs, qu’il passe son temps à interpeler. On retrouve souvent les mêmes personnages, mais pas dans les mêmes histoires. En Europe, je n’ai jamais lu une aventure écrite de Blanche-Neige qui soit autre que celle avec les sept nains. Le conteur, dans la tradition créole, plus qu’un simple acteur ou narrateur, est un véritable maître de cérémonie, une entité à part. Il parle à sa cour, à son public, mais il est aussi le pont entre l’auditoire et l’histoire. Dans le spectacle, le public ne pourra pas vraiment définir ce qu’il est, mais sera en constante interaction avec lui : le conteur peut par exemple interrompre le spectacle et poser des charades, et il doit constamment vérifier qu’il n’endort pas sa cour. C’est un véritable « showman », il parle, chante, danse, joue d’un instrument, son rôle est de captiver son auditoire…
J'aimerais aussi évoquer la sorcière. Je n’ai pas grandi dans une tradition qui la représente comme une vieille femme au nez crochu chevauchant un balai. Les sorcières, en Haïti, sont plutôt liées au vaudou, à une culture beaucoup plus quotidienne. Une sorcière peut avoir l’allure d’un humain, vivre parmi eux, mais cette « chose » peut aussi se transformer en animal. D’ailleurs il y a beaucoup de références aux animaux dans le conte de Hansel et Gretel. Et plusieurs d’entre eux sont liés à la sorcière.
Rose Martine. Au départ, j’ai voulu créer Hansel et Gretel dans l’univers de la forêt amazonienne. C’est la forêt dans laquelle j’ai grandi, très verte, très belle, immense, avec toutes les choses merveilleuses qu'elle récèle, mais qui peut aussi faire peur, selon qu’on s’y trouve le jour ou la nuit. J’étais partie travailler en Guyane au moment où j’ai commencé à écrire le conte, et alors, agitée, entre autres, par cette polémique sur la Montagne d’Or*, j’ai finalement porté ma réflexion sur le thème de la destruction du « poumon de la planète », si menacé aujourd’hui. Plutôt qu’une forêt, nous allons représenter ce qu’il peut en rester, si nous n’en prenons pas soin : rien. Un sol aride, usé. Je suis donc partie d’un espace scénique avec un sol sec, un arbre mort, couché, qui sera à la fois la maison opulente de la sorcière et celle des parents, si petite qu’il faut presque se mettre à quatre pattes pour y entrer.
Et je voulais aussi faire un lien entre la nature et l’homme.
De cette forêt, si nous continuons à la détruire il ne restera rien, mais de nous, que restera-t-il si elle n’est plus ? Quelque part, on arrache à la racine les arbres que nous sommes.
Entretemps, l’arrivée de la pandémie – qui fragilise tellement la génération de nos aînés – est encore venue renforcer ce sentiment, et me fait dire qu'en ce moment, c'est plutôt leurs racines qu'on arrache aux arbres que nous sommes.
Entretien réalisé par Laurent Muhleisen
Conseiller littéraire de la Comédie-Française
octobre 2020
*Le projet minier d'extraction d'or, très controversé, a été abandonné en juin 2019
Visuels © Vincent Pontet
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POUR LA SAISON 24-25
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